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Fukushima, 10 ans après : le CEA à la pointe de la recherche

Suivre la contamination radioactive


​Au moment de l’accident de la centrale de Fukushima Daiichi, des radionucléides ont été libérés dans l’atmosphère et sont à l’origine d’une contamination des sols. Dès 2011, les chercheurs du CEA se sont mobilisés pour participer et contribuer au suivi de la contamination radioactive dans l’environnement et comprendre comment se redistribuent les radionucléides via les cours d’eau et les mouvements de terrain. Plusieurs programmes de recherche ont ainsi été menés, avec l’appui des autorités et de la communauté scientifique japonaises.

Publié le 9 mars 2021

Lancé en 2011, le programme TOFU (Traçage des conséquences environnementales du tsunami généré par le séisme de TOhoku et de l’accident de FUkushima), coordonné par Olivier Evrard, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE, CEA-CNRS- Université de Versailles Saint Quentin en Yvelines) et Yuichi Onda, de l’Université de Tsukuba, s’intéresse aux transferts de radioactivité dans les différents compartiments de l’environnement.

« Depuis 2011, nous avons suivi les transferts de contamination dans les paysages », précise Olivier Evrard. « L’objectif de ce programme était de répondre notamment à plusieurs questions : Quel est le rôle de l’érosion ? Comment peut-elle redistribuer la contamination via les cours d’eau ? Comment les particules contaminées du sol se déplacent-elles dans les rivières drainant le panache principal de pollution radioactive de la préfecture de Fukushima ? » À cette fin, trois campagnes d’échantillonnage ont été organisées pour collecter des sédiments déposés à la suite de principaux événements hydro-sédimentaires comme les typhons estivaux et la fonte des neiges printanières qui se sont produits dans la région en 2011–2012.


Prélèvement d'échantillons pour suivre la radioactivité dans l'environnement
Prélèvement d'échantillons pour suivre la radioactivité dans l'environnement.
© O. Evrard/CEA
Dépôts de sédiments après un typhon sur des terres décontaminées
​Dépôts de sédiments après un typhon sur des terres décontaminées. © O. Evrard/CEA



Les résultats démontrent que le système a été très réactif à la succession de ces événements. « Les rivières répondent très vite aux événements de type typhons qui se produisent : il y a des crues très rapides qui causent une évacuation de ces sédiments contaminés, des chaînes de montagne situées à l’intérieur des terres aux plaines côtières et l’Océan Pacifique », explique Olivier Evrard.

L’étude des transferts particulaires dans la zone affectée, peu après la catastrophe, a également mis en évidence la présence de traceurs radioisotopiques originaux (qui proviennent des barres de combustibles des réacteurs de Fukushima-Daiichi). « Nous nous sommes rendus compte par des mesures que l’on trouvait d’autres radionucléides très rarement observés dans l’environnement (en plus du césium que l’on recherchait) - notamment l’argent 110 métastable retombé de manière hétérogène dans l’espace ou différents isotopes du plutonium. Les détecter dans des quantités différentes selon les zones géographiques nous a permis de tracer leur redistribution et leur variabilité dans l’espace. Savoir quels éléments se sont déposés, à quel endroit, et comment ils se déplacent est en effet important, pour anticiper leur devenir. »


VidéoSuivre la contamination des sols et des eaux


Ces travaux et l’implication du CEA se poursuivent à travers le projet AMORAD (Amélioration des MOdèles de prévision de la dispersion et d’évaluation de l’impact des RADionucléides au sein de l’environnement) piloté par l’IRSN et toujours en cours. L’objectif est d’améliorer les modèles de dispersion des radionucléides dans l’environnement, en tirant notamment toutes les leçons de la situation accidentelle survenue à Fukushima. Les scientifiques du CEA ont ainsi coordonné le programme « érosion » du projet qui vise à comprendre les transferts de radionucléides dans les environnements terrestres, avec leurs collègues de l’IRSN, du BRGM et de l’Université de Tsukuba, et des collaborations avec l’Université de Fukushima, l’Université Préfectorale de Kyoto et le National Institute of Environmental Studies (NIES).

Litate Village en 2016

​Un des sites de Litate Village en 2016.
© O. Evrard/CEA


impact majeur du typhon de 2019 sur l’érosion et le transport de blocs rocheux

​Un des sites de Litate Village en 2020. Sur la photo, on note l'impact majeur du typhon de 2019 sur l’érosion et le transport de blocs rocheux.  © O. Evrard/CEA


Qu'est-ce que
La demi-vie ?

La demi-vie est le temps au bout duquel la moitié des atomes radioactifs initialement présents s'est désintégrée. Cette décroissance n’est pas linéaire. Au bout de 2 demi-vies, il reste un quart des noyaux radioactifs, au bout de 3, un huitième… après 10 demi-vies, il n’en reste qu’un millième. Cette période est connue pour tous les noyaux radioactifs. elle varie de quelques nanosecondes à plusieurs années.

Les radionucléides suivis à Fukushima

  • Les isotopes 134 et 137 du césium sont les plus abondants. Leur demi-vie est respectivement de 2 ans et de 30 ans.  
  • Les isotopes 238, 239, 240 et 241 du plutonium (avec des demi-vies très variables : de 14 ans pour le plutonium 241 à 25 000 ans pour le plutonium 239). Le plutonium 241, avec sa courte demi-vie, permet notamment de faire la discrimination entre le plutonium retombé à la suite des essais nucléaires des années 1960, et celui de Fukushima.
  • L’américium 241, qui est créé lors de la désintégration du plutonium 241 et dont on anticipe un pic autour de 2080.
Prélèvement d'échantillons pour suivre la radioactivité dans l'environnement.
​Prélèvement d'échantillons pour suivre la radioactivité dans l'environnement. © O. Evrard/CEA


Le suivi du transfert de la contamination radioactive par les rivières vers l’Océan Pacifique, initié dans le cadre du projet TOFU, a ainsi pu être poursuivi. Des techniques de traçage originales ont été développées pour identifier les sources (types de sols ou de géologies, usages du sol, etc.) dont proviennent les matières contaminées qui transitent dans les rivières de Fukushima. « Nous avons notamment étudié la signature géochimique des différents types de roches et de sols de la zone pour identifier ceux qui seraient les plus susceptibles de fournir le plus de particules contaminées aux rivières. Nous avons également regardé la couleur du sol, qui nous donne des indications sur le niveau de contamination du sol : un grand nombre de sols de la zone se sont en effet formés sur des dépôts de cendres volcaniques noirs, alors que la roche sous-jacente est du granit jaune. Or, les zones décontaminées ont perdu leur couche superficielle noire, remplacées par du granit jaune concassé », souligne Olivier Evrard. Ce à quoi s’ajoutent d’autres méthodes, comme l’étude de la matière organique (qui permet de savoir ce qui vient des forêts ou des glissements de terrains pauvres en matière organique) ou de l’ADN sédimentaire (pour déterminer quelle végétation poussait avant que le sol soit érodé).

Enfin, la dernière étape du projet a pour objectif de concevoir des modèles informatiques spatialisés de dispersion des radionucléides dans l’environnement, et de les valider à partir des données obtenues à Fukushima.



Cela devrait permettre,
à terme, de simuler des scénarios de transferts de sédiments et
du césium radioactif dans les paysages en fonction de l’option choisie (décontamination, culture de telle ou telle plante, etc) »,
O. Evrard.

Parallèlement, les chercheurs ont réalisé la synthèse d’une soixantaine de publications scientifiques portant sur les stratégies de décontamination du radiocésium dans l’environnement de la centrale à la suite de l’accident, donnant un aperçu de l’efficacité des stratégies de remédiation utilisées par les autorités japonaises. « On s’est intéressé au devenir du césium radioactif dans l’environnement car cet élément a été émis en grande quantité lors de l'accident, contaminant une zone de plus de 9 000 km2. De plus, l’une des formes radioactives du césium, le césium 137, présente une demi-vie de 30 ans. Il constitue donc le risque le plus élevé pour la population locale à moyen et long-terme, car on peut estimer qu'il subsistera environ 3 siècles dans l'environnement en l'absence d'actions de décontamination », explique Olivier Evrard.

Vue de big bags, ces volumes de déchets de terres contaminées entreposés.
Vue de big bags, ces volumes de déchets de terres contaminées entreposés. © O. Evrard/CEA

L’étude montre l’efficacité du décapage de la couche superficielle du sol sur une épaisseur de 5 cm, principale méthode retenue par les autorités japonaises pour assainir les terres cultivées qui a permis de retirer 80 % du radiocésium. Mais cette méthode a aussi un coût élevé (24 milliards d’euros) et génère des volumes importants de déchets (environ vingt millions de m3 entreposés actuellement dans des « big bags »).

Les forêts, elles, n'ont pas été assainies à cause de la difficulté technique et des coûts très importants que représenteraient ces opérations. Or, celles-ci couvrent 75 % des surfaces situées au sein du panache radioactif. Elles constituent un réservoir potentiel à long terme de radiocésium, qui peut être redistribué à travers les paysages par l'érosion des sols, les glissements de terrain et les crues, en particulier lors des typhons qui peuvent traverser la région entre juillet et octobre. « C’est donc un réservoir que nous observons et étudions attentivement, en particulier les éléments contaminés qui peuvent en sortir », commente Olivier Evrard.


Mesurer et surveiller l’eau de mer de Fukushima

Lumière émise par le matériau scintillant du détecteur lorsqu’il est traversé par des rayonnements ionisants.

Lumière émise par le matériau scintillant du détecteur lorsqu’il est traversé par des rayonnements ionisants. © CEA-List

Soucieuses d’améliorer leur capacité de contrôle de la contamination dans l’environnement de Fukushima, les équipes de TEPCO, compagnie japonaise de production d’électricité, souhaitent pouvoir mesurer en temps réel le taux de tritium, même le plus faible qui soit, dans l’eau de mer. Une technologie conçue par le CEA-List pour Israël, dans le cadre du projet européen SafeWater, afin de détecter la présence de radioéléments dans de l’eau de consommation, a notamment retenu leur attention.

Maugan Michel, Ingénieur chercheur Instrumentation Nucléaire au CEA-List, conduit ainsi le développement d’un système de mesure fondé sur cette technologie, pour l’adapter aux besoins de l’entreprise. La technologie repose sur le traitement numérique de la lumière émise par le matériau scintillant du détecteur lorsqu’il est traversé par des rayonnements ionisants. Le traitement du signal permet alors de différencier les radionucléides émetteurs alpha et bêta présents dans l’eau des rayonnements parasites naturellement présents dans l’environnement.

« La première phase de ce projet a consisté à adapter une partie importante du système développé pour le projet SafeWater pour qu’il puisse détecter du tritium, explique Maugan Michel. Les premiers résultats sont encourageants. La deuxième phase, en cours, consiste à confirmer les premiers résultats obtenus, notamment en conditions réelles, et à améliorer les performances de mesure du détecteur. »

Suivre l’impact sanitaire

Dès 2011, la communauté scientifique s’est penchée sur l’étude des effets des rayonnements ionisants sur les populations vivant à proximité de la centrale de Fukushima-Daiichi. Les chercheurs continuent encore aujourd’hui à suivre l’évolution de leur état de santé. 

En s’appuyant sur ces travaux, le Comité scientifique des Nations unies pour l'étude des effets des rayonnements ionisants (UNSCEAR) a publié deux rapports. Le premier est sorti en 2013. Le deuxième a été rendu public le 9 mars 2021, dix ans après la catastrophe. Parmi les enseignements de ce rapport, rassemblant et analysant de nombreuses études, la dose efficace (*) moyenne reçue par des nourrissons dans les municipalités qui ont été évacuées entre mars 2011 et mars 2012 serait estimée entre 0,2 – 8 mSv (à titre d’information, en France, la limite réglementaire annuelle d’exposition hors radioactivité naturelle et médecine est de 1 mSv/an pour le grand public et de 20 mSv/an pour les travailleurs exposés à des rayonnements ionisants). 

Autre enseignement : l’exposition des adultes (c’est-à-dire la dose efficace moyenne reçue la première année) serait 30 % inférieure environ à celle reçue par les nourrissons. A noter que, jusqu’à présent, il n’y a pas de corrélation établie entre la radioactivité relâchée et un impact sanitaire potentiel. Le rapport est consultable en intégralité sur le site de l'UNSCEAR. 

(*) La dose efficace est une grandeur de radioprotection qui estime la fréquence d’apparition d’effets aléatoires (cancers, effets héréditaires) après une exposition aux rayonnements ionisants