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Résultat scientifique | Cognition

Les humains sont dotés d’un sens unique de la géométrie


Des chercheurs du CEA, du Collège de France, du CNRS et de l’Université Paris 8 montrent que les humains sont dotés d’une capacité universelle pour comprendre des concepts géométriques abstraits. Cette capacité humaine ne dépend pas de l’âge, de la culture ou de l’éducation, mais n’existe pas chez les primates non humains testés. Une tâche aussi simple que de détecter un intrus parmi des carrés ou des rectangles suffit à mettre en évidence cette capacité, et met à l’épreuve les réseaux de neurones de reconnaissance d’objets. PNAS vient de publier leurs résultats. 

Publié le 23 avril 2021

​Une ligne droite, un carré, un zigzag, un cercle… L’attrait de l’homme pour les formes géométriques semble être aussi ancien que l’humanité elle-même – on trouve des gravures en zigzag de plus de 500 000 ans ! Mais les concepts géométriques sont-ils universellement partagés ? D’où émergent nos intuitions sur la géométrie ? Plusieurs études suggèrent que les humains partagent un niveau de compréhension élevé des propriétés abstraites de formes géométriques. Une collaboration de chercheurs du CEA (UNICOG, département NeuroSpin de l'Institut CEA-Joliot), du Collège de France, du CNRS et de l’Université Paris 8 a conçu un test empirique pour tester la validité d’une hypothèse plus forte, en utilisant les formes les plus simples possible : que cette affinité pour la géométrie est une exception humaine et n’existe pas chez les autres primates. Ce résultat est aussi un défi intéressant pour les réseaux de neurones de reconnaissances d’objets, qui ne capturent pas le comportement des humains.

Dans ces travaux publiés dans PNAS, Mathias Sablé-Meyer et Stanislas Dehaene ont conçu un ensemble de 11 quadrilatères de régularité variable (nombre d’angles droits, de côtés parallèles, de symétries). Pour chacune de ces formes, ils ont construit quatre versions alternatives en leur appliquant une transformation identique, puis ont utilisé ces formes dans une tâche de détection d’intrus. À chaque essai, six formes sont présentées : cinq identiques à une rotation ou dilatation près, et une différente.

605 adultes français, qui ont participé à une expérience en ligne partagée sur Twitter, ont manifesté un effet de régularité géométrique : ils répondaient d’autant plus vite et se trompaient d’autant moins souvent que la régularité des formes augmentait. 28 élèves de grande section de maternelle, ainsi que 156 élèves de CP, ont participé à la même étude, qui s’est déroulée sur tablette à l’école. Chez ces enfants, l’équipe a pu montrer la présence de l’effet de régularité géométrique. Ce même effet se retrouve chez 22 adultes himbas non scolarisés. Les Himbas sont un peuple pastoral du nord de la Namibie qui dispose d’un vocabulaire réduit pour la géométrie ; ils ont pu participer à cette étude grâce à la collaboration de Serge Caparos (Unité Fonctionnement et Dysfonctionnement Cognitifs : les âges de la vie - DysCo, Universités Paris-8, Paris-Nanterre).

En parallèle, avec la collaboration de Joël Fagot (Laboratoire de Psychologie Cognitive, CNRS/Aix-Marseille Université), l’équipe a entraîné 26 babouins à détecter un intrus parmi des images. Ces babouins parviennent à apprendre la tâche, mais même les 11 babouins assez persévérants pour atteindre des performances comparables à celles des élèves de grande section n’ont pas manifesté d’effet de régularité géométrique. Ainsi, ils n’ont pas appris plus vite à reconnaître le carré parmi ses déviants qu’une forme quelconque parmi ses déviants. Même après plus de 8000 essais, ils se trompaient une fois sur deux, et ce quelle que soit la forme géométrique présentée.

Pour modéliser le comportement des babouins, les auteurs de l’étude ont eu recours à des réseaux de neurones à convolution utilisés comme modèles des mécanismes cérébraux de la perception d’objets. Cette modélisation prédit correctement le comportement de tous les babouins, mais le modèle doit être enrichi avec des informations symboliques (nombre d’angles droits, de côtés parallèles, etc.) pour expliquer le comportement des humains.

Ces résultats révèlent une nouvelle signature de la singularité humaine, plus élémentaire que le langage ou les capacités mathématiques, et constituent un nouveau défi pour des modèles non symboliques de la perception humaine.

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